L'Actu vue par Remaides : VIH : une épidémie invisibilisée, des vies invisibles ? 2/2
- Actualité
- 18.11.2024
© Actions Traitements
Par Fred Lebreton
VIH : une épidémie invisibilisée, des vies invisibles ? 2/2
Le 7 novembre dernier, Actions Traitements organisait son colloque annuel intitulé : « VIH : une épidémie invisibilisée, des vies invisibles ». L’occasion pour l’association de dresser un état des lieux des enjeux autour de la visibilité des personnes vivant avec le VIH. La rédaction de Remaides était présente et revient sur les moments forts de ce colloque, en deux articles. Deuxième partie.
« Il y a une autre forme de visibilité qui ne passe pas forcément par le témoignage »
Une des tables rondes de l’après-midi était intitulée : « Quelles pistes mises en place pour lutter contre l'invisibilité des PVVIH ? ». Animée par Florence Thune (directrice générale de Sidaction), cette table ronde a réuni un panel qui a permis de montrer une diversité d’initiatives associatives et militantes qui mettent en valeur la visibilité des PVVIH.
Michel Bourrelly, président de Vers Marseille sans sida et sans hépatites, a présenté en avant-première la campagne réalisée à l’occasion du 1er décembre 2024, Journée mondiale de lutte contre le sida. Une campagne conçue par et pour les personnes concernées.
Pour Valérie Crocq : « Il n’est plus acceptable de voir toutes ces personnes se cacher et vivre dans la honte ». La militante, qui vit avec le VIH depuis 1990, a monté, en 2018, sa propre association VIH’gilance, basée à Cherbourg. Infatigable, Valérie tente toutes les stratégies pour mobiliser les PVVIH des villes avoisinantes. Elle-même témoigne à visage découvert chaque 1er décembre pour « faire bouger les lignes ».
Une militante (qui souhaite rester anonyme) de l’association Envie à Montpellier a raconté son expérience d’un groupe de femmes séropositives. Vivant, elle-même, avec le VIH, depuis l'âge de 10 ans, la militante est rentrée à l'association Envie comme adhérente il y a dix ans de cela. Depuis un an et demi, elle co-anime un groupe de femmes. Elle mentionne une rencontre à Marseille entre deux groupes de femmes vivant avec le VIH, autour d’une exposition de photos : « Nous nous sommes rendu compte, à l'issue de cette soirée-là, à la veille du 1er décembre, qu’il y a eu de grandes répercussions chez de nombreuses personnes. Cela a touché beaucoup de personnes, dont des médecins, parce que, pour une fois, la voix des femmes concernant le traitement, a été réellement entendue. » Pour la militante, la visibilité passe parfois par des chemins détournés, mais chaque personne qui témoigne apporte sa pièce à l’édifice : « Il y a une autre forme de visibilité qui ne passe pas forcément par le témoignage, mais qui tient, par exemple, au fait de devenir bénévole ou actrice au sein d’une association. Finalement, c’est une première étape de prise de confiance en soi-même ».
« Ce jour-là, j'ai été totalement libérée »
Il y en a une pour qui la visibilité est presque devenue un mantra, c’est Andréa Mestre. La militante, très visible sur les réseaux sociaux, veut se servir de son expérience positive pour aider d’autres PVVIH à « libérer leur parole ». Andréa avait très peur quand elle a publié son premier témoignage sur son compte Instagram, mais la jeune femme n’a reçu (presque) que des réactions positives : « Je me suis dit : « Tiens, je pouvais avoir tout ce soutien, tout cet amour, et je suis restée pendant des années à me cacher, à vivre dans le mensonge, à vivre avec ce poids du secret. Ce jour-là, j'ai été totalement libérée. Je n'ai plus honte de quoi que ce soit. Je pouvais assumer partout que j’étais séropositive. En fait, cela a complètement changé ma vie. »
Joséphine Servant, militante à AIDES, a expliqué pourquoi elle avait accepté de témoigner à visage découvert en Une de Remaides. Un acte militant pour elle qui déplore le manque de visibilité des femmes noires vivant avec le VIH. La Une de Remaides lui a apporté beaucoup de reconnaissance et de sollicitations : « Dès que le numéro est sorti, tout le monde m’a appelé pour me féliciter.»
Note de la rédaction : L’auteur de cet article était intervenant lors de cette table ronde.
Michel Bourrelly (© Actions Traitements)
« Ce poids du secret me pèse énormément »
Mais la visibilité n’est pas une option possible pour tout le monde et parfois même elle peut représenter un danger de mort sociale dans certaines communautés ou familles. C’est le cas de Kélia (prénom modifiée), une femme séropositive qui, à l’occasion de ce colloque, a donné, pour la toute première fois, un témoignage sur les raisons qui l’empêchent d’être visible.
En voici des extraits retranscrits par Remaides avec son autorisation : « Bonjour à tous. Désolée, j'ai un peu le trac parce que c'est la toute première fois que je prends la parole en public au sujet de mon statut sérologique. Je m’appelle Kélia. J'ai 34 ans. J'ai découvert ma séropositivité en septembre 2023 lors d’un bilan de santé. J’étais sûre que mon test VIH serait négatif car avant de venir en France, je travaillais dans la santé en Côte d’Ivoire. À cette époque, j’étais aide-soignante et je me faisais dépister régulièrement pour le VIH devant tout le monde pour montrer que je n'avais rien. Quand on m'a annoncé que j’étais séropositive, franchement, c'est comme si le monde me tombait sur la tête ! Je me suis dit : "C'est pas possible. C'est pas possible !". Je n’arrivais pas à le croire en sortant du labo et jusqu’à présent, c'est encore dur pour moi de pouvoir l'accepter.
Je ne peux l'annoncer à qui que ce soit, à part aux personnes qui me suivent dans les associations Actions Traitements, Les Petits Bonheurs et Act Up-Paris. Je suis arrivée en France en 2022. Je n'avais pas de repère, ni nulle part où aller. C'est grâce à ces associations, qu’aujourd'hui j'ai un toit où dormir. Mais je ne peux pas parler du VIH à ma famille, même pas à ma mère. C'est impossible pour moi. Je suis bloquée dans mes relations amoureuses. On m’a annoncé que ma charge virale était indétectable, trois mois après ma mise sous traitement, mais j’ai toujours cette peur de contaminer même si, je sais que c'est impossible. Quand je vois du sang quelque part, instinctivement je m'éloigne.
Ce poids du secret me pèse énormément. Dans ma famille au pays, j’ai eu deux tantes séropositives et j'ai vu comment elles ont été traitées et mises à l’écart par les autres. La première s'est suicidée parce qu'elle n'a pas supporté le rejet. La deuxième a arrêté de prendre ses médicaments. Le fait d'avoir grandi dans ce contexte familial me décourage à en parler ouvertement. Chez nous, les gens ne font pas la différence entre VIH et sida. Ma famille est musulmane pratiquante et, pour elle, les femmes séropositives sont forcément des « prostituées ». On va me dire que je l’ai "bien cherché", que "c’est le karma" ou encore que je suis "la fille du diable". Ça, je ne pourrai pas le supporter. En plus, j’ai un fils de dix ans et je ne veux pas qu’il subisse ce rejet parce qu'ils vont lui rappeler à chaque instant, à chaque minute, que sa mère "a le sida". Je ne pense pas que mon fils soit prêt pour supporter cela (…).
Pour mon traitement VIH, quand je suis chez ma sœur, je suis obligée de mettre en place toute une stratégie pour le prendre en cachette. C’est stressant et c’est épuisant. Je ne pourrais pas supporter d’être rejetée par ma famille. Je préfère encore me donner la mort que de vivre ça. »
Le concept de « séropositivité politique »
En clôture de cette journée dense, deux militants-es de la lutte contre le VIH ont partagé leurs réflexions sur les sujets abordés au cours de ce colloque. François Berdougo, délégué général de la Société française de santé publique, a insisté sur certains points de tension qu’il a pu observer lors des interventions et de façon plus générale dans le champ de la lutte contre le VIH. « Je suis un homme cisgenre de 45 ans, séronégatif, usager de Prep et ancien militant de la lutte contre le sida », explique l’expert en santé publique pour situer la position d’où il parle. « Je vais essayer d'être à la fois compréhensif et sincère dans ce que j'ai à vous dire parce que la position extérieure qui est la mienne m'amène à regarder les choses différemment », prévient celui qui a co-écrit La fin du sida est-elle possible ? (Éditions Textuel) en 2017 avec le sociologue Gabriel Girard. « La question de la visibilité des personnes vivant avec le VIH est un des enjeux centraux autour desquels s'est construite notre lutte ». François Berdougo, qui a milité à Act Up-Paris au début des années 200 rappelle le concept de « séropositivité politique » : « Moi-même en tant que séronégatif, comme beaucoup d'autres, j'ai été assigné à cette identité visible du simple fait de faire partie d'une association qui se définissait comme ça (…) J’ai longtemps été tiraillé par cette question de la légitimité de ma propre parole. Et les choses ont un peu changé dans les années 2010. À partir du milieu des années 2010, des collectifs de séronégatifs se sont créés, notamment en France, autour de la question de la Prep. Et c'était très nouveau, parce que jusqu'à présent, les mobilisations étaient principalement nées des personnes vivant avec ou de leurs proches. Donc, il y a eu une parole à la première personne séronégative, qui était assez inédite dans l'histoire de l'épidémie. »
Où sont les séropos sur les applis de rencontres ?
Pour François Berdougo, la question de la visibilité des PVVIH se pose aussi sur les applis de rencontres gay : « Dans le milieu dans lequel j'évolue, par exemple, les séropos sur les applis de rencontre, ils sont absents, ou presque. En tout cas, moi, j'ai l'impression qu'il n'y a plus que des séronegs sous Prep qui se rendent visibles. Où sont les séropos sur ces applis ? Je n’en vois jamais et pourtant des profils de mecs sur les applis j'en vois passer beaucoup (…). Comment faire la promotion de I = I dans ce milieu qui est l'un des plus concernés par le VIH et qui, lui-aussi, produit de fait de l'invisibilité. Je constate que malgré ce message simple, en tout cas en apparence, et très positif, moi je ne les vois pas. Et donc si moi je ne les vois pas, j'imagine que d'autres ne les voient pas. Et j'aimerais bien les voir. "Indétectable mais pas Invisible", c’est un slogan fort que j’ai vu sur un visuel très joli dans le dernier Remaides. Et pourtant, certains restes invisibles », déplore le militant.
« Le VIH n’est pas le parent pauvre de la santé »
À contre-courant de plusieurs intervenants-es qui ont exprimé leurs craintes de voir la lutte contre le VIH se diluer dans la santé sexuelle ou s’invisibiliser, François Berdougo prend des pincettes pour affirmer l’inverse : « J’ai l'impression d'entendre ça depuis très longtemps et pour dire le fond de ma pensée, je ne suis pas hyper confortable de vous le dire, mais j'ai tout de même envie de vous le dire, le VIH n’est pas le parent pauvre de la santé. Aujourd'hui, en France, il y a entre 150 et 200 000 personnes qui vivent avec le VIH (…) Sur le plan de la visibilité médiatique, nous avons au moins deux échéances dans l'année, le 1er décembre et le Sidaction dans les médias au printemps, qui marquent une présence dans l'espace public, ce que beaucoup d'autres pathologies n'ont pas. ». En ce qui concerne la santé sexuelle, là où beaucoup craignent une dilution, l’expert en santé publique y voit, au contraire, une consolidation des forces militantes : « Je ne suis pas sûr qu'il n'y ait que des risques en fait sur cette question. C'est-à-dire que ceux qui travaillent dans la santé sexuelle et reproductive ne sont pas moins des militants et des militantes que nous (…) Il y a une dimension politique à ces questions de santé sexuelle. Et ces questions précèdent de très loin l'émergence du VIH (…) On a affaire à des gens avec lesquels nous partageons beaucoup de combats », souligne le militant.
« Y-a-t-il une peur de l'oubli? »
François Berdougo se questionne, d’où vient cette peur de l’invisibilité du VIH dans l’espace public ? « Il y a un enjeu affectif dans la question de la visibilité (…). Y-a-t-il une peur de l'oubli ? Oui, je pense qu'il y a une peur qu'on oublie ce qu'a été cette maladie, qu'on oublie ce qu'elle a produit dans nos communautés, qu'on oublie ce qu'elle a produit dans la société. Alors, il y a des initiatives pour faire écrire cette histoire, faire vivre cette mémoire, pas assez probablement. Je pense que, du côté de la recherche par exemple, il y a clairement trop peu de choses. Dans un certain nombre de pays, il existe des projets de production d'archives, notamment orales, de témoins, de gens qui ont traversé les 40 dernières années. Et là-dessus, on aurait probablement des choses à faire en France pour ne pas perdre la puissance de ces récits. Mais globalement, je n'ai pas d'inquiétude sur la mémoire sociale de l'épidémie. Avons-nous a oublié les grandes épidémies de notre histoire ? Je ne crois pas », conclut le militant.
« Être visible, c’est la reprise du pouvoir »
Dernier « point de tension » abordé par François Berdougo. Comment trouver un équilibre entre montrer la réalité du VIH aujourd’hui en France, c’est à dire une infection bien contrôlée (quand la personne est dépistée et traitée tôt) et la nécessité de mobiliser des forces vives et de l’argent pour cette lutte ? Faut-il banaliser la vie avec le VIH ? Quid de la diversité des expériences qui, pour une bonne partie des PVVIH, restent malgré très compliquées. « Je ne sais pas comment on sort de cette zone de tension à laquelle nous sommes confrontés à chaque Sidaction et à chaque 1er décembre notamment sur les enjeux de collecte. Je pense qu'il faut aussi s’en parler, c'est-à-dire comment est-on non misérabiliste tout en mobilisant les gens ? » Au final, la décision d’être visible revient avant tout aux personnes concernées, rappelle le militant : « Pourquoi être visible ? Parce que c'est la reprise du pouvoir, parce qu’on se réapproprie son histoire et de fait, on est plus fort ou plus forte face à autrui, et collectivement aussi. »
François Berdougo (© Fred Lebreton)
« Témoigner à visage découvert, ça a été ma plus grande force dès le départ »
Le mot de la fin de ce colloque est revenu à Pascale Bastiani, représentante des usagers-ères au Corevih PACA et membre du conseil d’administration d’Actions Traitements. La militante, qui témoignage à visage découvert de sa vie avec le VIH depuis de nombreuses années, rappelle l’aspect politique de la visibilité : « Il y a des problèmes d'âgisme dans notre société. Et pour bien vieillir, il faut être visible. Pour être une femme séropositive, il faut être visible (…) Témoigner à visage découvert, je crois que pour moi, cela a été ma plus grande force dès le départ. Je n'ai jamais douté qu'il fallait que je le fasse.
Je crois que nous, femmes séropositives, nous avons été quand même très invisibilisées, ne serait-ce qu’au plan de la recherche, sur les traitements, comment on les assimile, etc. », rappelle Pascale. « Je ne suis pas d'accord pour dire que le VIH est une maladie chronique ou comme les autres. Ce nest pas pareil d'avoir 60 ans quand on est en pleine santé et d'avoir 60 ans et quatre comorbidités, en plus du VIH ! » assène la militante. Pascale Bastiani revient sur les États généraux des personnes vivant avec le VIH (EGPVVIH), les premiers depuis 20 ans, qui se sont déroulés en mai dernier à Paris (lire nos articles à ce sujet) : « Il faudrait des États généraux au moins tous les deux ans, voire tous les ans. Parce qu'il est ressorti tellement de trucs qui étaient enfouis. Il y a eu aussi ce plaisir de se retrouver tous ensemble, de réfléchir, de trouver des solutions », souligne la militante.
Parmi les enjeux qui importent beaucoup à Pascale Bastiani, ceux autour des personnes qui vieillissent avec le VIH : « Que fait-on de vous ? Que fait-on pour les plus vieux qui vont aller en EHPAD ? Ce n'est pas une solution aussi simple que tout le monde veut bien le dire. Il faut enquêter, il faut aller voir, il faut demander. Il faut informer les équipes médicales et les familles de résidents sur I = I et les avancées des traitements ». Et la militante de conclure sur une note d’espoir : « Je voudrais qu'on s'applaudisse tous parce que nous sommes des warriors. Moi, j'ai beaucoup d'espoir, j'espère ouvrir Le Monde un jour et me dire : "Ça y est, on a trouvé !". Mais pour cela, il faut qu'on se bouge et qu’on travaille tous ensemble. »
Lire la première partie de cet article