L’Actu vue par Remaides : « Sérophobie : des lacunes majeures dans l’acceptation sociale des personnes vivant avec le VIH »
- Actualité
- 06.04.2025
Anthony Leprince pour Studio Capuche.
Par Jean-François Laforgerie
Spécial Sérophobie :
des lacunes majeures dans l'acceptation sociale des personnes
vivant avec le VIH
Une récente enquête Ifop, commandée par AIDES, met en lumière un paradoxe alarmant : si la majorité des Français-es se disent ouverts-es à côtoyer des personnes séropositives, le malaise persiste dans des contextes plus intimes ou professionnels. Cette méconnaissance, particulièrement marquée chez les jeunes adultes, alimente peurs irrationnelles et discriminations, révélant l’urgence de renforcer l’éducation autour du VIH pour déconstruire les stéréotypes qui perdurent.
Qui s’efforce de comprendre les ressorts de la sérophobie ne peut s’affranchir d’un état des lieux des représentations associées au VIH. Et cela dure depuis plus de 40 ans. La formule semble tenir de l’évidence. Pourtant, on doit bien reconnaître que toutes les enquêtes d’opinion, réalisées en France, traitant de la sérophobie, s’efforcent d’abord de mesurer les connaissances en matière de VIH (virus, modes de transmission, différence entre sida et VIH, traitements, etc.), puis de jauger les appréhensions liées au VIH/sida (les risques d’infection…). Une fois, le tableau posé… il s’agit alors de rentrer dans le dur du sujet en analysant les évolutions et les permanences concernant la sérophobie.
Séropohobie : de quoi parle-t-on ?
« La sérophobie est le rejet et la discrimination des personnes séropositives » énonce Wikipédia, l’encyclopédie libre, en ligne. « Attitude d’hostilité, de discrimination envers les personnes séropositives », a choisi Le Robert ; tandis que Sidaction propose : « Manifestation de rejet, de haine et/ou de crainte à l’égard des personnes vivant avec le VIH. Comme l’homophobie, elle se manifeste par des actes d’exclusion ou de discrimination. » « Crainte ou aversion envers les personnes séropositives ou atteintes du sida » retient, pour sa part, le Dictionnaire de la langue française. Ah, sinon, le mot vaut 17 points au scrabble. Si la définition semble claire (même si elle ne mentionne pas la question de l’ignorance en matière de VIH), il n’en va pas de même pour les statistiques sur les faits de sérophobie (réellement recensés ou estimés) qui sont très mal documentés : pas de données officielles précises ; d’autant qu’en matière de discriminations, celles qui sont sérophobes sont placées dans la catégorie très large des discriminations liées à l’état de santé et à la situation de handicap ; noyées dans la masse en quelque sorte, voire invisibilisées. Conclusion : en dehors de maigres données concernant la sérophobie dans le soin (voir en page 32), peu, voire pas de chiffres précis et une définition qui fait plutôt consensus : « Le terme de sérophobie est employé pour évoquer toute discrimination spécifique au VIH/ sida. Elle signifie la peur, le rejet des personnes vivant avec le VIH », comme le proposait le CRIPS Île-de-France, dans un document de synthèse sur le phénomène, de 2016. Voilà pour le tableau provisoire. Mais quelles évolutions a connu la sérophobie en France entre 1984 et 2024 ?
Des lacunes majeures dans l’acceptation sociale
La question est au cœur d’une enquête commandée par AIDES et réalisée par l’Ifop en 2024. Cette étude, initiée à l’occasion des 40 ans de l’association, traite de « la sérophobie en France et les représentations du VIH 40 ans après sa découverte ». En décembre 1988, AIDES réalise avec l’Ifop, une première enquête sur la sérophobie et les représentations des Français-ses concernant le VIH. Les résultats de l’enquête 2024 (soit 36 ans après la première) ont été publiés le 12 septembre dernier. Dans le contexte d’aujourd’hui, grâce aux progrès thérapeutiques, les personnes vivant avec le VIH, sous traitement, ont une espérance de vie similaire aux personnes séronégatives et ne transmettent plus le VIH, même lors d’un rapport sexuel non protégé par un préservatif. Si la science a permis des progrès majeurs dans le traitement du VIH, l’acceptation sociale n’a pas évolué au diapason. La sérophobie qui a marqué l’atmosphère des années 80/90 (idées reçues, violences des propos et des comportements, discriminations envers les personnes séropositives…) est loin d’avoir disparu de la société française. Qu’en est-il aujourd’hui ? Tout semble bien commencer dans l’enquête de l’Ifop. À la question : « Si vous appreniez que les personnes suivantes étaient séropositives, continueriez-vous à les voir ? » C’est oui pour 93 % des répondants-es lorsqu’il s’agit d’un-e membre de la famille ; Oui pour 91 % des personnes lorsqu’il s’agit d’un-e ami-e (pour cette même question, le chiffre augmente d’ailleurs de huit points entre 1988 et 2024) Des chiffres plutôt rassurants. Mais c’est la chute, dans le cas d’une personne avec laquelle on a des relations sexuelles. Seuls-es 46 % continueraient à la voir, après avoir appris sa séropositivité. Marqueur de la sérophobie dans les années 80, les mesures d’isolement des « malades du sida » et des personnes séropositives (l’Ifop a voulu distinguer les deux groupes) ne remportent plus qu’un faible soutien dans l’opinion… Sont favorables à l’isolement des personnes séropositives, 8 % des Français-es. Le chiffre monte à 11 % lorsqu’il s’agit d’isoler les « malades du sida ». Il était de 24 % en 1988. Reste une mauvaise et inquiétante surprise : c’est dans les tranches d’âges 18-24 ans et 25-34 ans que l’on trouve les taux les plus élevés de répondants-es favorables à l’isolement des « malades du sida » comme des personnes séropositives.
Côtoyer des personnes vivant avec le VIH reste une source de malaise
En 2024, les personnes séropositives restent perçues comme « source d’un certain malaise dans la société : 14 % des Français-es indiquent être mal à l’aise à l’idée de fréquenter le même cabinet médical qu’une personne séropositive (voir dossier en page 32). Pour d’autres, ce « malaise » portera sur les collègues vivant avec le VIH ou un-e enseignant-e de leur enfant. Enfin, les Français-es ont conscience, à 78 %, que les personnes séropositives sont victimes de discriminations. Ce pourcentage chute à 37 % lorsqu’il s’agit de discriminations provenant des professionnels-les de santé. Le « malaise » vis-à-vis des personnes vivant avec le VIH n’est pas un phénomène récent, hélas.
Déjà en 2017, une étude de l’institut CSA réalisée pour le compte de AIDES en faisait état. Les résultats avaient été publiés dans l’édition 2017 du Rapport VIH/hépatites : la face cachée des discriminations. Réalisée en octobre 2017 sur un échantillon de 1 000 personnes (élaboré selon la méthode des quotas), cette enquête d’opinion montrait à quel point les connaissances des Français-ses sur le VIH n’avaient pas été actualisées depuis l’arrivée des premiers traitements, au milieu des années 90. Elle mettait en lumière la persistance de peurs irrationnelles et d’attitudes discriminatoires toujours en vigueur dans une partie non négligeable de la population, en particulier chez les jeunes adultes.
Certaines données laissaient supposer une « apparente bienveillance à l’égard des personnes séropositives ». Par exemple, 90 % des personnes interrogées dans cette étude considéraient qu’une personne séropositive sous traitement pouvait avoir « une vie sexuelle comme tout le monde ». Mais cette « bienveillance » trouvait vite ses limites lorsque l’enquête évoquait des situations concrètes ou un degré de proximité plus étroit et direct avec les personnes séropositives. Un exemple : si la quasi-totalité des répondants-es reconnaissait aux PVVIH la capacité de travailler et d’exercer des responsabilités, ils-elles étaient paradoxalement 31 % à considérer les personnes séropositives « inaptes à exercer certaines professions », comme pompier ou policier.
Et concernant le « malaise », les chiffres étaient frappants (dans tous les sens du terme) : - 21 % des parents interrogés (plus d’un sur cinq !) se sentiraient « mal à l’aise » si « l’un-e des enseignants-es de leur enfant était séropositif-ve ». Ce taux grimpait à 33 % chez les moins de 35 ans ;
- 16 % des répondants-es en activité se sentiraient « mal à l’aise » à l’idée d’avoir « un-e collègue de travail séropositif-ve ». Ce taux grimpait à 30 % chez les 18-24 ans ;
- 10 % des répondants-es se disaient gênés-es à l’idée de « fréquenter le même cabinet médical qu’une personne séropositive ». Ce taux grimpait à 15 % chez les 18-24 ans. Dans l’étude de l’Ifop, le taux global est de 14 %. Pas besoin d’être grand clerc, pour comprendre que le « malaise » dont il est question est la façade à peine policée de la peur : celle de « contamination ». Les données des différentes enquêtes de ces dernières années (AIDES, CRIPS Île-de-France, Maison de vie, Sidaction…) mettent en lumière une méconnaissance persistante des modes de transmission chez 10 à 20 % des Français-es. Cette méconnaissance alimente les peurs irrationnelles, le rejet, les comportements d’évitement et la discrimination. Ce constat est encore plus prégnant parmi les 18-35 ans, ce qui révèle un recul alarmant du niveau d’information dans cette population ; ce qui, en dehors des acteurs-rices de la luttte contre le sida, ne semble pas inquiéter grand-monde.
Source : « 1984-2024 : la sérophobie en France et les représentations du VIH 40 ans après sa découverte » Ifop en partenariat avec AIDES, 26 septembre 2024 L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1 500 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession de la personne interrogée) après stratification par région et catégorie d’agglomération. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 10 au 12 juin 2024.
Les Français-es face au VIH : les chiffres clefs en 2024
Directeur du pôle Politique/Actualités ; Opinion & Stratégies d’Entreprises à l’Ifop, François Kraus a réalisé l’enquête et retient les données suivantes :
- La proportion de Français-es qui considèrent que les risques d’être contaminé-e par le VIH ne sont pas importants est passée de 14 % en 1988 à 40 % aujourd’hui ;
- Les moins de 25 ans sont une majorité (51 %) à considérer que les risques d’être contaminé-e par le VIH ou d’être malade du sida aujourd’hui sont faibles ;
- La peur d’atteindre le stade sida est minoritaire : elle ne concerne que 38 % des Français-es ;
- De moins en moins de Français-es sont capables de faire la distinction entre une personne séropositive et une personne en stade sida : si 61 % des Français-es connaissaient cette différence en 1988, ils-elles sont moins de la moitié aujourd’hui : 49 % ;
- 77 % des Français-es pensent encore que l’on peut être contaminé-e par le VIH lors d’un rapport sexuel non protégé par un préservatif avec une personne séropositive sous traitement.
Un quart des Français-es (24 %) ignore qu’une personne séropositive sous traitement peut avoir une espérance de vie équivalente à celle d’une personne séronégative.