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    L’Actu vue par Remaides : « Nathan : Je suis un jeune homme de 22 ans, je suis séropositif, et je le vis très bien »

    • Actualité
    • 27.04.2025

     

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    Nathan, dans les jardins de l’esplanade du Trocadéro, à Paris, le 5 avril.
    Photo : Nina Zaghian

    Par Jean-François Laforgerie

    Nathan : "Je suis un jeune homme de 22 ans, je suis séropositif et je le vis très bien"

    Ancien francilien, Nathan a choisi l’esplanade du Trocadéro, à Paris, pour la séance photo avec Nina Zaghian, la photographe de Remaides. Bondé de touristes, le parvis qui a pour toile de fond la tour Eiffel a été délaissé au profit du parc qui ceint le musée de la Marine. C’est calme, ensoleillé, idéal pour des images plus personnelles. L’intimité, il en est question dans l’interview accordée à Remaides : celle de la vie d’un jeune homme qui a 22 ans et vit avec le VIH. Rencontre.

    Remaides : En quelle année et dans quelles circonstances avez-vous découvert votre séropositivité ?
    Nathan :
    J'ai été diagnostiqué en 2020, en août plus précisément. À l'époque, j'étais en couple exclusif. J'ai eu des symptômes d'une petite IST, comme une gonorrhée. J'ai fait des tests pour être sûr au moins, comme nous étions en couple exclusif. Il s’est avéré que j'étais séropositif. Mon conjoint à l'époque m'avait dit que ses tests étaient négatifs ; comme les miens avant notre rencontre. On n’utilisait pas de préservatifs. J’avais 17 ans quand on s'est mis en couple. Je lui ai fait confiance à cette époque-là.
    Il m’a dit qu’il était allergique au latex. En tout cas, je ne savais pas qu’il existait des préservatifs sans latex.

    Comment avez-vous vécu cette annonce ?
    Quand mon médecin généraliste me l'a annoncé, j'ai vu un peu toute ma vie défiler. Je ne suis sans doute pas le seul à avoir eu ce type de réaction. Pour moi, tout s’est écroulé à ce moment-là. Je ne savais pas quoi faire. Mon médecin m’a quand même rassuré.

    Aviez-vous eu des infos concernant le VIH, les risques, la prévention ?
    Durant ma scolarité, j’ai eu un cours d'éducation sexuelle qui nous montrait comment mettre un préservatif sur une banane. Littéralement, c'était juste ça. On a parlé de quelques IST, mais le cours n’a pas été au-delà des IST et il n’a pas abordé le VIH. À cette époque, je n’avais quasiment pas d’informations.

    Connaissiez-vous des personnes du même âge, voire un peu plus âgées vivant avec le VIH avec lesquelles vous auriez pu parler du VIH ?
    Absolument pas.

    Etiez-vous ouvertement gay ?
    Oui. J'étais ouvertement gay, mais je faisais tout de même attention à qui je le disais. J'évitais de trop « m'afficher », si on peut dire ça comme ça. Donc, plus ou moins ouvertement gay. Ma famille était informée. J'avais déjà fait mon coming out à l'époque, depuis quelques années.

    Comment s’était-il passé ?
    Mon coming out, je l'ai fait à 14 ans et ça s'est plutôt bien passé sauf du côté de mon père. Au début, il a un peu mal pris cette annonce. C’était difficile, puis au fur et à mesure, ça s'est passé de mieux en mieux.

    Avez-vous craint des réactions familiales qui fassent l’association entre homosexualité et risque vis-à-vis du VIH, comme c’est parfois le cas ?
    Avec mon père, non, parce qu'on ne parle pas trop de sexualité. Avec ma mère, un peu plus. Je me rappellerai toujours quand nous étions allés voir le film 120 battements par minute [le film de Robin Campillo, sorti en 2017, ndlr]. Ma sœur était venue avec ma mère et moi. J’ai adoré le film. En sortant du film, ma mère nous a dit : « Ce serait bien de faire attention et de penser à vous protéger ! » On s'est mis à pleurer tous les trois ensemble. Parce que c'est un film très fort ; très émouvant sur un sujet important. Oui, ma mère était plus inquiète en tout cas sur ce sujet-là.
     

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    Nathan, dans les jardins de l’esplanade du Trocadéro, à Paris, le 5 avril.
    Photo : Nina Zaghian

    Que se passe-t-il à la suite de l’annonce de ta séropositivité ?
    J'ai très vite été pris en charge sur le plan médical. Le médecin m’a expliqué comment cela allait se passer. Il m’a rassuré sur le fait qu'aujourd'hui on vivait très bien avec le VIH, qu'on vivait comme une personne « normale », que nous étions des personnes « normales ». Il m’a fait comprendre que j'allais prendre un traitement, certes à vie, mais parce que les avancées médicales n'étaient pas encore suffisantes pour un vaccin ou un traitement pour guérir de VIH. J'ai fait un petit peu abstraction à ce moment-là du fait que je sois séropositif ; dans le sens où j'ai continué ma vie et j'ai fait comme si de rien n'était. J'ai mis un peu ça derrière moi et j'ai pris mon traitement et j’ai fait mes analyses de contrôle. Après, c'est vrai que je me suis posé beaucoup de questions. J'étais encore en couple, avec celui qui est aujourd’hui mon ex. Des questions du genre : « Comment je l’ai attrapé ? Cela a créé un blocage puis donné lieu à une rupture entre nous.

    Les questions que vous vous posiez à ce moment-là, elles restaient dans votre tête ou en parliez-vous ensemble ?
    C'est quelque chose que je gardais en tête. Je suis quelqu'un qui garde souvent les choses en lui, qui rumine beaucoup ; et à un moment donné, ça explose. Je suis comme ça. J'en ai vaguement parlé à l'époque, mais il m'a toujours dit qu’il ne s’était jamais rien passé. Et qu'en gros, il était séronégatif à l'époque où nous nous sommes rencontrés. Et qu'il a été diagnostiqué beaucoup plus longtemps après moi, parce qu'il a mis du temps à faire son test. En tout cas, il a fait traîner les choses. J’ai eu le sentiment qu’il ne voulait absolument pas faire les démarches. Il repoussait à chaque fois la date pour faire un test, en trouvant des excuses : « J’ai pas de rendez-vous » ; « Il n’y a pas de rendez-vous avant telle date » ; « C'est impossible d'avoir des rendez-vous » ; « Mon médecin n'est pas disponible. »

    Comment avez-vous ressenti cela ?
    Comme du déni. Comme s’il avait quelque chose à se reprocher. C'est vraiment ce que je me suis dit à l'époque. Je l’ai bassiné jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il fasse le test. Cela a duré près d’un an. Il m’a finalement dit : « J’ai fait mon test. Je suis positif. Bon, bah, je vais être sous traitement ». Il a pris un traitement. Par la suite, l’histoire s'est arrêtée, parce que ça n'allait plus entre nous.

    À quel moment, décidez-vous de porter plainte ?
    Eh bien, il n'y a pas si longtemps que ça. À peu près au début 2024 environ. L’année dernière, son ex [l’ex-partenaire de la personne avec laquelle Nathan était en couple lorsqu’il a appris sa séropositivité, ndlr] me contacte via les réseaux sociaux, m’indiquant qu'il a quelque chose à me dire. On s'appelle et il me dit : « Écoute Nathan, je suis séropositif aussi et c'est Jordan, [le prénom a été modifié, ndlr] qui m'a infecté. En fait, il ne prend pas ses traitements. Il fait vraiment n’importe quoi avec son traitement. Il a infecté plusieurs personnes volontairement. » Je comprends dans l’échange que cela remonte à plusieurs années avant notre rencontre. Et il m'explique enfin qu'il y a deux autres personnes qu'il connaît également, donc deux autres ex à lui, qui sont aussi positifs au VIH et qui disent avoir été infectés par lui.

    La personne qui vous appelle était le partenaire de votre ex avant que vous vous connaissiez ?
    C’était son partenaire plusieurs années avant moi. Il y a eu lui, un autre, puis moi, puis un autre. Nous sommes quatre à avoir été en contact. Je connaissais un ex de Jordan [prénom modifié, ndlr] parce que nous l’avons hébergé un temps durant le confinement dû au Covid-19. C’est cet ex qui nous a mis en relation tous ensemble sur un groupe whatsapp où nous avons échangé. Je suis le plus jeune, les autres ont à peu près la trentaine, comme mon ex d'ailleurs, enfin notre ex.

    Que vous dites-vous à la suite de cet appel ? Qu’a déclenché cet appel ?
    C’est comme si ma vie s’écroulait une seconde fois. Je me repasse les moments. Je revis les flashbacks. Je me dis : « Bah, voilà, à tel moment, il a mis énormément de temps pour éviter d'éveiller les soupçons ». Tous ces petits flashbacks font que je comprends mieux la situation. Je comprends mieux les faits qui se sont passés durant notre relation. Je pense porter plainte contre cet ex et je propose aux trois autres que nous le fassions ensemble. J’effectue des recherches pour savoir comment ça se passe, s'il y a eu des cas comparables. J'appelle ma protection juridique pour savoir ce qui peut être fait. C'est une protection juridique individuelle que j'ai prise dans le cadre de mes assurances bancaires. C’est bien cet appel qui a été le déclencheur de tout cela. Je me suis dit : « Ce n’est pas possible. Il faut faire quelque chose parce qu’on ne peut pas être quatre personnes infectées par cette personne-là qui a des rapports sexuels non protégés avec d'autres personnes. Il faut que cela cesse parce qu’on ne peut pas infecter volontairement d'autres hommes comme ça, à tire-larigot.

    Comment réagissent les autres personnes à votre proposition d’une plainte commune ?
    On échange pendant plusieurs mois. Au fur et à mesure, les trois autres personnes sont de moins en moins motivées. Du coup, je décide de laisser tomber aussi. En fait, je n'avais pas le courage de le faire seul. Le temps passe. Récemment, je fais une interview dans le cadre d’un reportage où j’annonce ma séropositivité et je parle de cette situation. Le reportage est diffusé en édition nationale à la télé. Un ami m’y voit. Il me contacte et demande : « Pourquoi ne portes-tu pas plainte ? » C’est un ancien policier. Il me conseille de reprendre cette démarche. C'est grâce au soutien que j'ai eu de cet ami et d'autres personnes, que je le fais aujourd’hui en portant plainte au pénal.

    Qu’attendez-vous de cette plainte et du procès qui pourrait avoir lieu ?
    Ce que j'attends de cette procédure et des démarches que j'entame, c'est que cette personne prenne conscience de ce qu'elle a fait aux autres, qu’elle soit sanctionnée pour ces faits-là. Il y a aussi une partie de moi qui veut faire cette procédure pour me dire : « Bon, bah, voilà, j'ai fait une bonne action dans le sens où, c'est bête à dire, mais j'ai été un bon citoyen. Je ne sais pas comment le dire autrement.

    Est-ce-que cela fait écho à ce que vous disiez tout à l’heure : « Il faut que ça s’arrête » ; dans votre idée qu’il ne faudrait pas que d'autres personnes soient exposées et se trouvent infectées dans ces circonstances-là ?
    C'est vrai que ça m'apporterait beaucoup de soulagement. Nous n’en sommes qu’au début de la procédure. J'attends une condamnation de cette personne parce que je pense qu'elle ne s'arrêtera pas d’elle-même, et c'est malheureux à dire, mais voilà, c’est comme ça.

    Vous parlez de soulagement. Attendez-vous d’un éventuel procès une réparation ?
    Oui, pour moi et d’autres. J'éprouve de la souffrance pour ces personnes-là parce que c'est assez dur de vivre ce genre de situation. Je n’ai pas envie que d’autres connaissent et subissent ce que j’ai vécu.

    Vous avez pris une avocate. Que vous a-t-elle expliqué de la procédure ?
    J'ai déjà vu plusieurs fois l'avocate. J'ai déposé plainte contre mon ex pour administration de substances nuisibles entraînant une situation de handicap ou d’infirmité permanente. Je ne connais plus la formulation exacte… mais c’est dans ce genre-là. La plainte a été déposée au parquet auprès du procureur. Cela a mis un peu de temps, trois mois environ, avant que j’obtienne une réponse. Hier, [La veille de cette interview, ndlr], j'ai été auditionné par la police pour établir un procès-verbal. J'ai bientôt rendez-vous avec un médecin légiste pour un test médical légal afin de faire avancer la procédure. La personne que je mets en cause n’habite pas la région lyonnaise où moi je vis. Ma plainte devrait donc partir au parquet de son lieu de résidence, qui l’adressera dans un commissariat proche de son domicile. Il est probable qu’il soit auditionné et ses ex aussi. Tout ce que je sais, c’est que cela va prendre du temps. Mon avocate m'a dit que ça allait être très long, voire prendre plusieurs années ; trois ans peut-être.

    Quel accueil avez-vous reçu au commissariat ?
    J’avais beaucoup de crainte et d'angoisse avant d’y aller. J'étais extrêmement stressé, parce que c'était la première fois que j'allais déposer une plainte. J'avais de l'appréhension sur ce qu’allait faire l'officier de police judiciaire, si on allait accepter mon dépôt de plainte, si j'allais être jugé, si j'allais subir des discriminations, de la sérophobie, etc. Cela a pris beaucoup de temps ― près de deux heures ―, mais cela s'est très bien passé. J'ai été reçu par une femme. D'ailleurs, je préférais être reçu par une femme. C’est aussi pour cela que j’ai pris une avocate. Je préfère avoir une femme en face de moi pour ce type d'affaire-là.

    Maintenant que la procédure est enclenchée, comment vous sentez-vous ?
    Je me sens beaucoup mieux qu'avant, mais j'ai quand même une appréhension quant à la durée de la procédure, au fait de savoir si ma plainte va être prise en compte et comment elle sera traitée. J’ai aussi une inquiétude à propos de ce que mon ex va dire lors de son audition par la police. Moralement, tout cela travaille pas mal. J’ai d’ailleurs eu besoin d’un suivi psychologique, car se remémorer, c’est lourd. Cela reste un poids pour moi aujourd’hui. Je sais qu’il n'y aura pas forcément de règlement rapide de l’affaire parce que les tribunaux sont archi-encombrés. Je suis partagé entre le soulagement parce que j’ai eu le courage de lancer la procédure et le fait que cela restera un poids omniprésent, sans doute lié à l'incertitude de la conclusion de cette affaire.
     

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    Nathan, dans les jardins de l’esplanade du Trocadéro, à Paris, le 5 avril.
    Photo : Nina Zaghian

    Comment est votre vie de jeune homme aujourd'hui avec le VIH ?
    Je le vis bien. Je ne dirais pas très bien, car il y a quand même le poids de cette affaire et le fait que je sois séropositif. Mais, en soi, ma vie va plutôt bien, mais il y a tout de même une chose. Mon infectiologue m'a dit que j'avais un virus assez particulier avec des résistances à certaines classes de médicaments. Cela nécessite de bien surveiller mes résultats d’analyses et mon traitement. Mon médecin est d’ailleurs limité dans ses stratégies de traitement et ne peut pas utiliser toute la palette de médicaments habituels, parce qu'il y a des choses qui pourraient ne pas fonctionner.

    Concernant vos projets, votre vie personnelle, professionnelle ?
    Je ne me sens pas forcément différent, enfin légèrement. Par exemple, dans le sens où ma vie sentimentale, ma vie amoureuse ou sexuelle sont un peu particulières car se pose la question de l’annonce. Cela reste mon choix. C’est mon droit de ne pas annoncer en toutes circonstances que je suis une personne vivant avec le VIH en charge virale indétectable ; par exemple, sur les sites de rencontres où les réactions peuvent être violentes. Aujourd’hui, je vis plutôt bien ma séropositivité. Je l'accepte, et de plus en plus.
    Je mets des actions en place pour l'accepter et l'assumer. Et cela fonctionne.
    Professionnellement, c'est un peu compliqué. Je n’en parle pas
    J'ai fait cette interview pour le reportage, début d’année dans le cadre du Sidaction. Beaucoup de personnes l'ont vu parce que c'est passé au national. Elles m'ont encouragé en fait dans mes démarches et m'ont soutenu. Et je trouvais ça assez fort et beau, intéressant en tout cas. D’ailleurs suite à cela, j'ai pu l'annoncer à mes parents.

    Comment ont-ils réagi ?
    Cela a été un peu compliqué. J'ai dû expliquer les choses parce qu’ils manquaient d’informations, surtout ma mère. Elle avait beaucoup d’inquiétudes sur ma santé. C’est vrai qu'avec ma mère, nous sommes très fusionnels, très proches… Et donc de nombreuses inquiétudes. Je l’ai énormément rassurée, même si nous sommes à 300 km l'un de l’autre. Aujourd'hui, elle me soutient dans mes démarches. Elle sait que j’ai commencé une procédure. Avec mon père, ça s'est plutôt bien passé. Il a eu moins d'inquiétudes. Comme je disais auparavant, avec mon père, on ne parle pas de sexualité. On a moins de feeling sur ce sujet-là. Il m'a dit qu'il me soutenait à fond dans mes démarches et qu'il serait là pour m'épauler. Ma sœur aussi est au courant depuis la diffusion de l'interview, ma tante également ; enfin plein de personnes.

    Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter une interview largement diffusée dans les médias ?
    Peut-être parce que c'était un défi personnel. Dans le sens où, avant cette interview, Je n'assumais pas complétement d'être séropositif. Je craignais l'avis des autres et leurs préjugés. Et du coup, c'était un gros, gros défi pour moi, d’autant plus que je savais que ça allait passer à la télé. Je savais que des membres de mon entourage, de ma famille, potentiellement mes parents pouvaient la voir. Comme je n’arrivais pas, de moi-même, à en parler en face, je me suis dit que c’était le moment de le dire, de l’annoncer comme ça.

    Aviez-vous fait la balance entre les risques pris à témoigner dans un reportage et les bénéfices que vous en attendiez ?
    Oui. Je me suis dit que je n’avais rien à perdre. Je me suis dit : « On n'a qu'une vie. Je ne sais pas ce que me réserve demain. C’est le moment de se lancer, de montrer aux autres qui je suis. » Je suis un jeune homme de 22 ans, je suis séropositif, et je le vis très bien.
    Aujourd'hui, on peut bien vivre avec le VIH. Je voulais montrer ça à plein de gens.

    Témoigner était donc une façon de contribuer à changer le regard d'un certain nombre de personnes sur ce qu'est la vie avec le VIH aujourd'hui ?
    Bien sûr, j'espère. J'espère que cela a changé le regard. Avant d’arriver à Lyon, quand j'habitais à Paris, je voulais devenir militant de la lutte contre le sida et contre toutes les discriminations. Je voulais entrer à Act Up-Paris, mais je n’ai jamais eu le courage de me lancer quand j’étais en région parisienne. Puis, j’ai tout plaqué à Paris pour m'installer à Lyon. Nouvelle vie, nouveau départ. Pas d’Act Up à Lyon ; je suis allé à AIDES où je milite aujourd’hui depuis près de deux ans, pour soutenir la cause.
    Je m’implique avec d’autres militants sur un groupe d'auto-support entre pairs, en non-mixité. Seules des personnes vivant avec le VIH y participent. J’ai pris la suite d’un autre militant qui avait lancé ce groupe. C’était un défi pour moi : de le relancer, d’en dynamiser le fonctionnement, de faire le maximum pour nous rassembler en tant que séropositifs pour parler de sujets qui sont importants ; par exemple, les avancées dans les traitements, les relations avec les médecins. Il s’agit aussi de passer des bons moments entre pairs, de casser l'isolement que certaines personnes séropositives peuvent connaître. Pour le moment, le groupe accueille surtout des hommes. J'aimerais bien que des femmes vivant avec le VIH y participent aussi.

    Comment voyez-vous votre avenir ?
    Ça fait un peu sujet de philo… Sur le plan de mon engagement militant, ce serait de faire évoluer le groupe d’auto-support dans lequel je suis impliqué. Mais aussi de rester militant le plus longtemps possible et d’évoluer. Sur le plan professionnel, j’aimerais quitter mon travail actuel. Changer de domaine, de métier. J’ai besoin de me reconcentrer sur moi-même et sur ce que je veux vraiment. En tout cas, je suis en train de changer de cursus. Sinon, dans ma vie en général, avancer dans la procédure et que ça se passe bien. Et puis comme militant et personne séropositive, de témoigner encore pour que cela permette le changement, d’avoir moins d’a priori et de préjugés dans notre société. En somme de changer le regard.
     

    Complément d'info
    Quel est le risque pénal encouru par les personnes vivant avec le VIH du fait de relations sexuelles non protégées ?

    Cette épineuse question qui traverse l’histoire du VIH/sida depuis ses débuts a défrayé la chronique judiciaire en France assez tardivement ― au regard des débuts de l’épidémie.
    « En France, hormis une première condamnation passée relativement inaperçue en 1999, l’émergence de la problématique se cristallise essentiellement, en 2004 et 2005, autour de la condamnation à six années de prison d’un homme accusé d’avoir contaminé deux anciennes compagnes auxquelles il avait dissimulé sa séropositivité. L’affaire avait suscité une vive controverse opposant les associations de lutte contre le VIH aux plaignantes et aux associations de victimes », rappelait ainsi le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) en 2015 dans un « Avis suivi de recommandations sur la pénalisation de la transmission sexuelle du VIH en France » qui fait toujours référence".
    Le CNS avait déjà travaillé sur la pénalisation et émis un premier Avis en avril 2006. Il notait alors que le « recours à la réponse pénale » était un « phénomène marginal », mais qu’il n’en bousculait pas moins « fortement les concepts et les valeurs qui constituaient une culture partagée par la plupart des acteurs de la lutte contre le sida ». Dans ce premier Avis, l’instance s’interrogeait « principalement sur les conséquences des procès sur les principes fondateurs de la prévention de la transmission du VIH », recommandant un « renforcement global des politiques de prévention ».

    Depuis, plus d’une vingtaine d’affaires ont été traitées en France (données arrêtées à l’année 2015) ; désormais presque tous les ans des affaires aboutissent devant les tribunaux. « Le traitement pénal des faits de transmission ou d’exposition au risque de transmission repose sur une jurisprudence stable », soulignait le CNS en 2015. Ce dernier avait d’ailleurs procédé à une analyse juridique approfondie des 23 procédures pénales pour transmission ou exposition au risque de transmission du VIH jugées en France, avant 2015. Ce qui avait permis d’identifier certains points.
    Les poursuites sont engagées sur le fondement de l’infraction « d’administration de substances nuisibles (ASN) ». En France, à la différence de certains pays, « la sanction pénale de faits de transmission du VIH ne se fonde pas sur une législation spécifique à cette pathologie ou à un ensemble de maladies transmissibles », soulignait le CNS en 2015.

    L’élément matériel requis pour qualifier l’infraction d’ASN est double. Il faut qu’une substance nuisible soit administrée. « Ceci est constitué par le fait, pour une personne porteuse du VIH, d’avoir une relation sexuelle non protégée avec son ou sa partenaire, la substance nuisible étant en l’espèce formée par les sécrétions sexuelles ou les fluides corporels infectés par le virus, et son administration résultant de l’absence de protection de la relation sexuelle ». Il faut, de plus, que « l’administration de la substance nuisible entraine une atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’autrui ». Dans son dernier Avis en date, le CNS cadrait bien cette notion : « En cas de transmission du virus, l’infection par le VIH qui en résulte constitue indubitablement une atteinte à l’intégrité physique de la victime. À cet égard, les progrès thérapeutiques, en réduisant considérablement les conséquences délétères de la contamination sur la santé de la victime, réduisent la sévérité de l’atteinte à l’intégrité physique mais ne la remettent pas en cause : le caractère incurable de l’infection, son retentissement irréversible sur l’organisme, la nécessité de suivre à vie un traitement lourd, etc. »

    À l’élément matériel, s’ajoute « l’élément moral » ou « intentionnel », explique le CNS. Ainsi, « la personne qui, se sachant séropositive au VIH et connaissant les modes de transmission du virus, décide malgré cela de s’engager dans une relation sexuelle sans la protéger, agit volontairement, et en cela commet l’infraction d’ASN », note le Conseil national du sida et des hépatites virales. La jurisprudence actuelle établit qu’il « suffit (…) de montrer que l’auteur a connaissance de sa séropositivité au moment des faits pour caractériser l’intention délictueuse. »

    Dans son avis de 2015, le CNS explique clairement que « toute relation sexuelle non protégée entre partenaires sérodifférents [l’un-e est séronégatif-ve, l’autre est séropositif-ve, ndlr] engage potentiellement la responsabilité pénale de la personne séropositive ». Pour être caractérisé en droit, le délit d’administration de substances nuisibles requiert uniquement deux conditions : le fait que la personne séropositive au VIH ait une relation sexuelle non protégée avec un(e) partenaire non infecté(e), lui faisant courir le risque de contracter le virus ; le fait que la personne séropositive agisse en connaissance de ce risque.
    De cette donne, le CNS tire plusieurs conséquences en termes de « délimitation du champ des actes répréhensibles » et de « risque pénal » pour les personnes vivant avec le VIH :
    - l’exposition simple au risque de transmission du VIH constitue un délit susceptible de donner lieu à des poursuites et à une condamnation ;
    - une relation sexuelle non protégée entre partenaires sérodifférents constitue un délit commis par le partenaire séropositif, y compris quand le partenaire séronégatif est informé du risque auquel il s’expose et y consent ;
    - la connaissance formelle par l’auteur de sa séropositivité au VIH préalablement aux faits n’est pas une condition absolue pour qualifier le délit ;
    - la mise en œuvre d’une protection de la relation sexuelle autrement que par l’utilisation systématique de préservatifs présente un risque pénal.
    Sur ce dernier point qui peut surprendre, il ne faut pas oublier que la rédaction de l’avis du CNS date d’avant 2015. À cette époque, les tribunaux n’avaient pas statué sur le rôle protecteur des ARV sur le risque de transmission ; pas encore de jurisprudence sur le sujet. Les données scientifiques sur l’effet protecteur des traitements qui empêchent la transmission du VIH ont largement évolué depuis (par exemple, la Prep n’était pas encore généralisée). Rappelons le consensus scientifique du Tasp (Traitement comme prévention) connu aussi sous le slogan I = I (charge virale indétectable = zéro transmission). Lire à ce sujet la page très complète d’Actions Traitements.
    Il est plus que probable que les analyses des juristes de l’époque sur ce point ne soient plus valables aujourd’hui.

    Dans une présentation conjointe, le CNS et la Société française de lutte contre le sida (SFLS) rappelaient qu’en « France, la transmission et/ou l’exposition au risque de transmission sexuelle du VIH peuvent constituer dans certaines conditions un délit pénal ». CNS et SFLS dressaient le constat que « ces conditions demeurent mal connues des personnes vivant avec le VIH (…) comme des acteurs de la prévention et de la prise en charge. » Les structures insistaient sur le fait qu’il est « nécessaire d’améliorer l’information des personnes vivant avec le VIH sur leurs droits et responsabilités juridiques. Les actions de prévention et d’accompagnement en direction des PVVIH doivent intégrer la dimension du risque pénal. »