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    L’Actu vue par Remaides : « Générations Positives : la sérophobie racontée par les personnes concernées, N°1 »

    • Actualité
    • 17.04.2025

     

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    Éric et Nicolas ont témoigné dans Remaides N°112/été 2020.
    Éric a 57 ans et vit avec le VIH depuis 1992. Nicolas a 25 ans et, lui, vit avec le VIH depuis 2014.
    Photo : Fred Lebreton. Composition : Anthony Leprince pour Studio Capuche.

    Par Fred Lebreton

    Spécial Sérophobie
    Générations positives : la sérophobie racontée par les personnes concernées, épisode 1

    À l’été 2020, Remaides lançait une nouvelle rubrique : Générations Positives. Son but, organiser des rencontres et des entretiens croisés entre personnes vivant avec le VIH de générations différentes qui ne se connaissent pas et renouer un dialogue parfois compliqué du fait de vécus de VIH très différents. Quatre ans et seize entretiens croisés plus tard, retour sur un fil rouge présent dans quasiment chaque entretien : la sérophobie. Dans cette sélection d’extraits parfois durs et souvent pleins de courage, nos témoins racontent comment ils-elles ont vécu cette sérophobie et comment ils-elles l’ont surmontée. Premier épisode.

    Note de la rédaction : les âges des personnes correspondent au moment de la réalisation des entretiens.

    Eric et Nicolas

    Remaides : Quel regard portez-vous sur la génération U=U ?
    Éric :
    Le dialogue est parfois compliqué. Il y a un jeune séropo qui m’a dit un jour ; « Le VIH, ce n’est plus un problème, on vit très bien avec ». C’est un discours difficile à entendre pour une personne comme moi qui a connu 24 comprimés par jour et des comorbidités importantes comme le cancer, le diabète, et l’hypertension. J’ai aussi vécu une chute très importante d’un point de vue social et professionnel. Par exemple, j’ai perdu cinq années de points de retraite et je n’ai pas pu devenir propriétaire de mon logement. Il y a toute une génération qui vieillit avec le VIH dans des conditions très précaires et qui s’inquiète pour ses « vieux jours ». Les jeunes séropos avec qui je parle ne sont pas toujours conscients de l’impact social, physique et psychologique de toutes ces années de traitements sur nos vies. Je me considère chanceux d’être toujours en vie et debout, mais j’ai perdu des personnes très proches.

    Nicolas : C’est un sujet très clivant cette différence de vécus, notamment sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, j’étais de ceux qui avaient tendance à dire : « On vit très bien avec le VIH aujourd’hui, ma santé n’a pas changé » et ce discours n’a pas plu à certains séropos dont un homme de ta génération qui a réagi de façon assez violente. Je l’ai mal vécu et depuis je fais attention à parler en mon nom. J’ai compris que cette génération a vécu l’horreur, un vrai traumatisme qui restera gravé dans leur mémoire mais quand on est jeune et qu’on n’a pas vécu cette période ou connu des personnes qui l’ont vécue, c’est difficile d’imaginer ce que certains séropos ont pu vivre dans les années 80/90.

    Éric : Effectivement, en 1992 il n’y avait pas d’espoir. Un diagnostic de VIH, c’était un diagnostic de mort et je suis passé plusieurs fois près de la mort.

    Nicolas : Je peux comprendre que ce soit violent à entendre, pour ta génération, un jeune séropo qui dit : « Je vis bien avec le VIH ». Personnellement, ce discours me permet surtout de lutter contre la sérophobie et la stratégie de la peur afin d’inciter les gens à aller se faire dépister. En France, en 2020, quand on est dépisté et traité tôt, on peut avoir une vie tout à fait normale.

    Éric : Je suis admiratif des gens comme Nicolas qui témoignent à visage découvert si jeune. Il a un militantisme que je n’avais pas à son âge. Effectivement, ce traumatisme des « années sida » a profondément marqué au moins deux générations de personnes séropositives.

     

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    Jean-Paul et Dimitri ont témoigné dans Remaides N°113/Automne 2020.
    Jean-Paul a 58 ans et vit avec le VIH depuis 1985. Dimitri a 27 ans. Il vit avec le VIH depuis 2018. Photo : Fred Lebreton. Composition : Anthony Leprince pour Studio Capuche.

    Jean-Paul et Dimitri

    Remaides : Comment gérez-vous la sérophobie sur les applis de rencontre de type Tinder ou Grindr ?
    Jean-Paul :
    J’ai essayé les applis, mais ce fut une expérience catastrophique ! Je pense que c’est plus simple dans la communauté gay car on a tous un pote gay séropo, mais chez les hétéros, la proximité n’est pas la même. Les personnes à qui je parlais étaient à des années lumières de connaître et comprendre la vie avec le VIH. C’est un autre monde pour les hétéros. Et puis, je n’ai pas les codes de la drague en ligne. Dans mon ancienne vie, je faisais partie du milieu de la nuit et de la musique ; les opportunités étaient plus nombreuses. Aujourd’hui, je vis à la campagne et j’ai peu de vie sociale. La vie a fait que je suis devenu asexuel. Ce n’est pas un choix, c’est une évolution, mais je n’en souffre pas et je reste ouvert à une éventuelle rencontre amoureuse.

    Dimitri : Je me souviens d’un mec qui est venu me parler sur Hornet, après avoir vu que j’étais séropositif sur mon profil et la première chose qu’il m’a écrite était : « T’as le sida ? » J’ai d’abord essayé de faire preuve de pédagogie en lui expliquant la différence entre VIH et sida, mais j’ai vite compris qu’il était plus dans la provocation et l’agressivité, et j’ai fini par le bloquer. J’ai trouvé cet échange assez blessant et sur le coup ça m’a fait mal, mais ensuite j’ai pris du recul car je ne le connaissais pas, au final, et je ne voulais pas que ça m’atteigne. Heureusement, la plupart des mecs réagissent bien et j’aime bien faire de la pédagogie autour du VIH, que ce soit sur les applis de rencontres, mais aussi sur Twitter où j’ai parlé de ma séropositivité à visage découvert pour inciter ma communauté à se faire dépister.

     

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    Marie et Ludovic ont témoigné dans Remaides N°114/Hiver 2020.
    Marie a 59 ans. Elle vit avec le VIH depuis 1988. Ludovic a 32 ans et vit avec le VIH depuis 2019.
    Photo : Fred Lebreton. Composition : Anthony Leprince pour Studio Capuche.

    Marie et Ludovic

    Remaides : Est-ce que vous parlez de votre statut sérologique avec vos proches (familles, amis, collègues) et si oui quelles sont leurs réactions ?
    Marie :
    Je me souviens qu’un jour je gardais les enfants de ma sœur et mon beau-frère. J’étais en train de faire des crêpes et mon beau-frère m’a dit que je ne pourrai plus garder ses enfants à cause du VIH. Ma sœur a pris ma défense en buvant dans ma tasse et son mari a fini par s’excuser. Sa peur venait d’une certaine ignorance des modes de transmission, mais sur le coup, j’ai pris une claque. Je me suis sentie comme une pestiférée. Et puis, j’ai eu un autre souci dans mon boulot. Cette fois, mon statut sérologique a été divulgué. J’ai eu l’impression qu’on m’avait volé la décision d’en parler ou pas. Ça m’a mis en colère et depuis j’en parle librement si l’occasion se présente et si ça ne plait pas, c’est pareil. En ce qui concerne ma mère qui a 91 ans aujourd’hui, j’ai mis quinze ans avant de lui annoncer car je voulais la préserver et me préserver par la même occasion de ses inquiétudes, je suis toujours sa petite puce à bientôt 60 ans. (Marie éclate de rire)

    Ludovic : Moi, je sélectionne les personnes à qui j’en parle car je veux me préserver de leur jugement. Quand on me pose des questions j’explique avec des mots simples quels sont les traitements ou ce que signifie avoir une charge virale indétectable, etc. Je n’en parle pas dans mon travail, par exemple, ni à ma famille. Je crains les réactions du genre « Oh mon pauvre » car, en réalité, je vais bien. Mon traitement fonctionne et je n’ai pas envie ni besoin de sentir la pitié, la tristesse ou l’inquiétude de mon entourage. J’ai besoin de personnes bienveillantes et compréhensives.

    Marie : Dans ma courte période de toxicomanie, j’ai subi ce genre de jugement « T’as joué, t’as perdu : c’est bien fait pour toi » ou alors des questions très intrusives pour savoir comment j’ai contracté le VIH. C’est une question qui ne se demande pas.

     

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    Thaïs et Cylvain ont témoigné dans Remaides N°117/Automne 2021.
    Thaïs et Cylvain sont de la même génération (respectivement 47 et 44 ans),
    mais Thaïs vit avec le VIH depuis 1993 et Cylvain depuis 2011.
    Photo : Fred Lebreton. Composition Anthony Leprince pour Studio Capuche.

    Remaides : Thaïs, vous êtes maman d’un petit garçon de trois ans, comment est arrivé ce projet de parentalité ?
    Thaïs :
    J’avais un désir d’enfant avec mon ex conjoint. Je suis tombée enceinte plusieurs fois, mais à l’époque il y avait un risque de transmission du VIH de la mère à l’enfant. Et puis, en 2015, mon gynécologue m’a expliqué qu’avec les traitements actuels il n’y avait plus de risque de transmission car ma charge virale était indétectable depuis de nombreuses années. Je suis tombée enceinte rapidement une première fois, suivie d’une fausse couche précoce. Puis à nouveau deux ans plus tard ; je n’étais plus en couple avec le père, mais j’ai décidé de le garder. C’était maintenant ou jamais car j’avais déjà 43 ans.

    Cylvain : Ma nièce est également séropositive. Elle est en couple sérodifférent et ils ont eu deux enfants. J’ai appris sa séropositivité, par des membres de ma famille en mai 2013, le jour des obsèques de ma mère. Ils m’ont expliqué que c’était la raison pour laquelle elle prenait son repas à part dans sa voiture…

    Thaïs : Pardon ?! Mais c’était en quelle année ? En 2013…  C’est hallucinant, il y a du boulot encore.

    Cylvain : Oui c’était clairement de la sérophobie et de l’ignorance et c’est ce qui m’a poussé, ce jour-là, à annoncer ma séropositivité à ma famille.