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    L’Actu vue par Remaides : « Aide au développement : sous la pression de l’extrême droite, la France crée une commission d’évaluation »

    • Actualité
    • 01.03.2025

     

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    Par Jean-François Laforgerie

    Aide au développement : sous la pression
    de l'extrême droite, la France crée une commission d'évaluation

    Face aux critiques virulentes de l’extrême droite, le gouvernement français annonce la création d’une commission chargée d’évaluer l’aide publique au développement. Une décision qui intervient alors que Donald Trump démantèle brutalement l’agence américaine Usaid, mettant en péril des millions de bénéficiaires à travers le monde. Derrière cette remise en cause, un débat aux enjeux humanitaires, diplomatiques et politiques majeurs. Explications.

    La France crée une commission pour évaluer son aide publique au développement

    Sous pression de l’extrême droite, le gouvernement français a décidé de créer une commission pour évaluer son aide publique au développement, au moment où l’administration du président américain Donald Trump a décidé de saborder son agence d’aide au développement : Usaid (voir plus bas). Cette annonce a été faite dimanche 23 février par le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, lors d’un entretien avec Europe 1 et CNews, deux des médias de Bolloré, grands relais des critiques et thèses de l’extrême droite française.
    « Je viens de signer, il y a quelques jours, un décret qui instaure une commission d’évaluation de l’aide publique au développement », a commenté le ministre. Selon lui, il s’agit « projet par projet » de s’assurer « systématiquement que ce que nous faisons est bien dans l’intérêt direct des Français, ou indirect, parce que vous savez que ces interventions de l’AFD [Agence française de développement, ndlr], elles bénéficient aussi très largement à des entreprises françaises ». Jean-Noël Barrot était interrogé à la suite de la publication dimanche 23 février d’un article du Journal du Dimanche (journal d’extrême droite qui appartient, lui aussi, à  la sphère Bolloré], sur des « milliards d’aide engloutis » par la France dans des pays étrangers, pour un montant annuel de 15 milliards d’euros.

    Le JDD : entre critiques et caricatures

    Le journal de Bolloré poussait loin ses critiques qualifiant certaines aides de « délires » financés par les impôts des Français-es. Comme témoins à charge, le journal donnait la parole dans un dossier de quatre pages à la députée européenne d’extrême droite Sarah Kanfo (Reconquête !) et au député Guillaume Bigot (RN), auteur d’un rapport, suite à une mission au sujet de l’aide publique au développement (APD), très critique forcément.  Ces deux partis (Reconquête ! et RN) sont même allés jusqu’à lancer une campagne caricaturale sous le hashtag « APDgate » pour faire monter le sujet. Seul contradicteur, le ministre chargé des Partenariats, Thani Mohamed-Solihi, qui dénonce, dans l’article, des « manipulations grossières ».
    Deux pages du journal sont consacrées à critiquer des projets financés par l’AFP. Certains ont cours, d’autres sont achevés. Onze projets ont été retenus par le journal : certains concernent le genre comme un projet pour Madagascar (350 000 euros) de réduction des violences de genre au sein des collèges ; la mise en place de « budgets non genrés » en Jordanie (151 millions d’euros, projet lancé en 2022 et toujours en cours) ou encore la « protection holistique des minorités sexuelles et de genre en Afrique et dans le Causase (1,7 million d’euros), projet lancé en 2024 et en cours. D’autres ont été retenus par l’hebdo d’extrême droite parce qu’ils portent sur les personnes immigrées. Il en va ainsi d’un « projet de développement inclusif des zones d’accueil pour les réfugiés (2018-2022) pour 21,5 millions d’euros, ou d’un projet au long cours en Égypte (1,2 million d’euros, depuis 2019) concernant « l’aide psychiatrique aux migrants » ; d’autres enfin concernent la santé sexuelle. En démarrage de son article, le JDD parle de projets, le plus souvent, « idéologiques », voire « obsédés par le genre ».

    Un débat lancé par l'extrême droite, en écho à l'initiative de Trump contre l'Usaid

    Le débat sur l’opportunité de l’aide publique au développement de la France a apparu sur les réseaux sociaux ainsi que dans le discours de certaines personnalités conservatrices et d’extrême droite, après le gel de l’aide humanitaire américaine décrété par Donald Trump le 20 janvier, quelques jours seulement après son arrivée au pouvoir. Cette décision, prise au nom de « L’Amérique d’abord ! », a provoqué l’interruption de programmes humanitaires à travers le monde. Elle affecte négativement des millions de personnes bénéficiaires. Elle risque aussi d’impacter durablement le secteur humanitaire, où des dizaines de milliers d’emplois sont en péril.

    Le pas de deux du gouvernement

    Dans son interview aux médias Bolloré, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a esquissé un surprenant pas de deux. Il faut « évaluer l’impact de tout ce que nous faisons », a donc expliqué le ministre. Comme l’indique l’AFP, la question la plus importante selon lui est de « savoir si c’est utile aux Français ». Est-ce l’utilité directe ? Est-ce le soft power, outil diplomatique indispensable aujourd’hui ? Est-ce l’utilité indirecte au motif que des fonds reviendraient à des entreprises ou structures françaises ? Les questions méritent d’être posées. Pourtant dans son interview, Jean-Noël Barrot reconnaît qu’il existe déjà « des mécanismes d’évaluation très, je dirais très rigoureux, à commencer par le Parlement ». D’un côté, nous avons les outils pour comprendre à quoi sert l’APD, de l’autre, on lance cette nouvelle commission d’évaluation comme si l’existant défaillait… tout en disant le contraire. La nouvelle commission « permettra de systématiser l’évaluation en lien avec les parlementaires, et de toujours nous assurer que l’aide publique au développement serve les intérêts de la France ». Une solution pour temporiser face à l’extrême droite ?

    Un bouc émissaire bien pratique

    « Un nid de vipères » prétend Elon Musk, maître expert en venins, à propos de l’Usaid, l’agence américaine chargée de l’aide au développement, qu’il a dans le collimateur. Fondée en 1961, l'Usaid employait environ 10 000 personnes. Dimanche 23 février, elle a annoncé limoger environ 1 600 employés-es aux États-Unis et placer la majorité de ses effectifs en congé administratif. Une décision liée à la volonté de Donald Trump de « démanteler » cette agence gouvernementale. « Usaid débute la mise en place de la réduction de ses effectifs qui va affecter environ 1 600 employés d’Usaid postés aux États-Unis », a confirmé l’agence sur son site internet. Les autres employés-es de l’Usaid, répartis-es dans une centaine de pays à travers le monde, ont placés-es en congé administratif, depuis minuit, dimanche soir), à l’exception des responsables pour des « fonctions de missions essentielles, de la direction centrale et /ou des programmes spécialement désignés », a précisé l’agence. Elle financera les coûts du rapatriement de son personnel déployé à l’étranger, assurant que les employés-es auront notamment accès aux ressources diplomatiques jusqu’à leur retour aux États-Unis.

    Une "destruction" qui fait réagir

    Ce démantèlement est très critiqué dans de nombreux pays où les conséquences se font déjà sentir. Il fait réagir aussi des personnalités. Dans une tribune publiée par Le Monde, lundi 24 février, Guillaume Gonin, enseignant à Sciences Po Bordeaux et spécialiste des États-Unis et Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2014-2017) et actuelle présidente de France Terre d’Asile, expliquent que la suppression de l’Agence américaine pour le développement international par le gouvernement Trump aura des conséquences sanitaires, humanitaires et géopolitiques désastreuses. Dans leur tribune, les auteurs-rices soulignent le décalage « révulsant » qu’il y a entre les critiques de l’administration Trump (l’Usaid financerait un opéra transgenre en Colombie, le Hamas aurait reçu de l’Usaid 100 millions de dollars (95 millions d’euros) en préservatifs, dixit Trump.) et la réalité de ce qui se passe sur le terrain depuis le gel des fonds et la fin annoncée de l’Usaid. Et les deux auteurs-rices de citer les « files d’enfants affamés au Soudan qui attendent en vain leur ration de Plumpy’Nut, une pâte d’arachide ultrariche devenue essentielle pour lutter contre la sous-nutrition ; des centaines de bébés qui, faute de traitement antiviral, naissent avec le sida à Haïti, en Zambie ou au Mozambique ; des migrants sud-américains LGBTQ+ persécutés qui voient leur refuge associatif fermer ses portes au Mexique, etc. »
    « L’Usaid, dont le budget était de 44 milliards de dollars en 2024, apporte nourriture, eau et soins aux victimes des catastrophes naturelles et de malnutrition ; elle lutte contre le paludisme, Ebola ou la grippe aviaire dans des dizaines de pays ; elle garantit l’accès à l’eau potable ou porte des initiatives de développement agricole et économique ». Si cette fin est un tel drame, c’est parce que les fonds de l’Usaid représentent « 42 % de l’aide humanitaire mondiale ».
    «  Depuis 2000, l’agence estime avoir sauvé 11,7 millions de vies et prévenu 2,1 milliards de cas de paludisme »,  indique la tribune.

    La décision de courte vue de Trump et Musk montre à quel niveau la nouvelle administration a poussé loin l’égoïsme, brutalisant un secteur, sans laisser de temps pour mettre en place une nouvelle initiative palliant la défection américaine qui a tout d’un cauchemar éveillé.

    Pour aller plus loin :

    Qu'est-ce que l'aide publique au développement  et à qui et à quoi sert-elle ?

    L’aide publique au développement (APD) est « un ensemble de flux financiers ayant pour but de favoriser le développement économique et l’amélioration du niveau de vie des pays en développement, en assurant un accès équitable aux ressources (eau potable, énergie…) et aux services de base (santé, éducation, logement décent…) », explique le site dédié à cette politique publique. « La France est le 5e plus grand donateur de l’aide publique au développement mondiale et a consacré 13,9 Mds d’euros (0,48 % du RNB) à l’APD en 2023. Le premier poste budgétaire concerne l’éducation, puis viennent les personnes réfugiées, les banques et services financiers et l’énergie. La santé arrive au dixième rang. La France intervient dans 133 pays différents, en priorité les pays à revenus faibles ou intermédiaires. Les cinq premières nations sont la Côte d’Ivoire, le Maroc, l’Égypte, la Turquie et l’Inde. L’APD a reçu un nouveau coup de rabot lors de l’adoption du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 avec une nouvelle baisse très forte de son enveloppe budgétaire. La France prévoit d’y consacrer seulement 5,3 milliards, soit une réduction de plus de 20 % par rapport à l’année précédente (6,5 milliards d’euros) ; ce que le JDD n’indique pas.
    Plus d’infos ici.

    Des agences américaines s'opposent à Musk, qui demande des comptes aux fonctionnaires

    Bronca. Le Pentagone et d’autres agences du gouvernement américain, dont la police fédérale (FBI), ont demandé à leurs équipes respectives de ne pas répondre au courriel exigeant que les fonctionnaires fédéraux-les justifient leurs activités, après l’injonction en forme d’ultimatum du conseiller de Donald Trump, Elon Musk. Ce mail comminatoire avait pour titre : « Qu’avez-vous fait la semaine dernière ? » Faute de réponse, Musk brandissait la menace de renvoi de l’administration. Cet appel de plusieurs fidèles du président américain ― nouvellement nommés-es à des postes-clé de son administration ― à désobéir représente un « couac majeur » et interroge la marge de manœuvre dont dispose Musk. Sommé par Donald Trump de se montrer « plus agressif » dans sa mission de « sabrer dans les dépenses publiques », Musk avait enjoint (22 février) les fonctionnaires fédéraux-les de répondre à un courriel en rendant compte de leur travail récent ; autrement dit de justifier de leur travail. Une initiative qui crispe.
    « Le ministère de la Défense est responsable de l’évaluation des performances de son personnel et il conduira tout examen en accord avec ses propres procédures », a expliqué Darin Selnick, un responsable du Pentagone, dans un communiqué publié dimanche 23 février sur X (le propre réseau de Musk). Selon le New York Times, le FBI, le Département d’État (équivalent du ministère des Affaires étrangères) ou encore le renseignement national, ont également conseillé à leurs employés-es de ne pas y répondre. « Le FBI, par l’intermédiaire du bureau du directeur, est en charge de toutes les procédures d’évaluation », a écrit Kash Patel, le nouveau directeur de la police fédérale, nommé par Donald Trump.
    Elon Musk est régulièrement critiqué pour ses méthodes de management jugées brutales. « Si je pouvais dire une chose à Elon Musk, ce serait : "S’il vous plaît, ajoutez une dose de compassion là-dedans. Ce sont des vrais gens. Ce sont de vraies vies" », a estimé, sur CBS, le sénateur républicain de l’Utah, John Curtis. « C’est un faux argument de dire que nous devons faire des économies et être cruel en même temps », a-t-il ajouté.
    Cet appel de plusieurs agences de l’administration Trump à ne pas obéir à l’injonction de son proche conseiller s’inscrit dans un contexte très tendu au sein de l’État fédéral, explique l’AFP. En cinq semaines, le gouvernement du milliardaire républicain a mis en œuvre des mesures, sous l’impulsion d’Elon Musk, visant à licencier des pans entiers du personnel. Des milliers d’employés-es de l’administration en période d’essai ont été limogés-es. Incités-es à démissionner en échange d’une paie maintenue jusqu’à fin septembre, quelque 75 000 fonctionnaires ont également accepté de quitter leur poste, selon les médias américains. L’AFGE, le principal syndicat de fonctionnaires fédéraux-les, a promis de contester toute fin de contrat « illégale ». « Une nouvelle fois, Elon Musk et l’administration Trump ont montré leur mépris total pour les employés fédéraux et les services essentiels qu’ils rendent au peuple américain », estime dans un communiqué Everett Kelley, président de l’AFGE.