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    L’Actu vue par Remaides : « Nous devons faire reculer la sérophobie, nous n’avons pas le choix »

    • Actualité
    • 13.04.2025

     

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    Image : Anthony Leprince pour Studio Capuche, in Remaides spécial Sérophobie

    Par Camille Spire, présidente de AIDES

    Spécial Sérophobie :
    "Nous devons faire reculer la sérophobie, nous n'avons pas le choix"

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    « Franchement, comment est-ce possible d’avoir autant de nouvelles contaminations aujourd’hui !? Alors qu’ils ont les moyens de se protéger avec les préservatifs. Ça fait 30 ans qu’on sait que ça fonctionne ! Ils font vraiment n’importe quoi ! ». Voilà les propos tenus par une personne invitée chez moi alors qu’elle m’interrogeait sur la situation de l’épidémie de VIH aujourd’hui. Cette pensée simpliste, qui accuse les personnes séropositives d’être « fautives » de leur infection, génère du ressentiment vis-à-vis des personnes vivant avec le VIH et contribue aux discours sérophobes. Mes réponses en termes de difficultés d’accès à la santé pour les personnes concernées n’ont malheureusement pas semblé avoir un quelconque impact sur le discours de mon interlocuteur…

    Autre situation vécue : lors d’une soirée, un ami m’interpelle sur les évolutions du VIH… J’en profite pour lui parler du fait qu’une personne séropositive sous traitement ne transmet plus le virus. Sa réaction a été nette : même si son partenaire prenait un traitement, lui ne coucherait pas — et surtout pas sans préservatif — avec une personne séropositive. Insistante, je mentionne les études scientifiques qui montrent que si le partenaire a une charge virale indétectable, il ne transmet PAS le VIH. Sa réponse : « Et si jamais les scientifiques se trompent ? La science évolue tout le temps ». Sa réponse achève de me mettre hors de moi et je termine l’échange en lui conseillant alors de ne jamais prendre de médicaments. Cette attitude sérophobe, de la part de quelqu’un que je connaissais bien, m’a particulièrement choquée. En fin de compte, ce n’était pas la fin de la discussion. Deux semaines plus tard, nous nous sommes croisés ; mon ami s’est excusé. Il m’a dit qu’il avait été con, qu’il s’était renseigné et qu’il regrettait ces propos et sa position. Je me suis alors, moi-aussi, remise en question : le Tasp, le I = I, je « baigne » dedans depuis des années ; cette information n’est pas nouvelle pour moi. Comment demander à quelqu’un de digérer ce changement de paradigme dans la prévention en deux minutes, et de modifier son discours en conséquence ? Cet épisode m’a rappelé l’importance, en tant que militante, de ne pas vouloir aller trop vite vis-à-vis des personnes qui ne sont pas engagées dans la lutte contre le VIH, de leur laisser un peu de temps pour s’imprégner des enjeux et des évolutions liés au VIH.

    Pourquoi rappeler ces deux exemples de sérophobie ? Parce que dans le premier cas, je n’ai pas réussi à avoir un impact sur mon interlocuteur. Je n’ai pas réussi à transformer son discours sérophobe, alors que dans le second cas, j’ai pu y contribuer. Après réflexion, je me dis que cela provient peut-être d’une différence quant aux « raisons sous-jacentes » de ces ressorts sérophobes.

    Dans la seconde situation, c’est l’ignorance du sujet qui a engendré une réaction sérophobe ; réaction qui n’aura finalement été que temporaire. En communicant sur le VIH, par la transmission d’informations, de témoignages, nous avons la possibilité de faire reculer la sérophobie. C’est toute la force du « savoir = pouvoir ». Les résultats de l’enquête que AIDES a menée avec Ipsos au dernier trimestre 2024 sur la sérophobie en France démontrent bien un défaut d’information sur le VIH dans la population française : seulement 49 % des Français-es savent qu’il existe une différence entre VIH et sida et 77 % pensent qu’il est possible d’être infecté-e par le VIH en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne vivant avec le VIH sous traitement. Cette ignorance conduit à la stigmatisation et à la sérophobie : 46 % des Français-es seulement continueraient à voir une personne avec qui ils-elles ont des relations sexuelles s’ils-elles apprenaient qu’elle est séropositive et 16 % seraient mal à l’aise à l’idée de côtoyer une personne séropositive… Il y a encore beaucoup de travail devant nous pour faire passer nos messages et les informations fondées sur des faits !

    Dans la première situation, il est plus compliqué d’agir car le discours sérophobe que j’ai entendu, au-delà d’une démonstration d’ignorance concernant les difficultés vécues par les populations vulnérables en termes d’accès à la prévention, était teinté de jugement et de morale. Les éléments avérés, rationnels que je pouvais apporter, n’avaient que peu d’influence sur la personne en face de moi. J’ai surtout ressenti un manque d’empathie de sa part, son incapacité — ou sa non-volonté

    Parce qu’au final, nous devons faire reculer la sérophobie, nous n’avons pas le choix. Nous n’arriverons pas à la fin de l’épidémie sans mettre fin aux discriminations, et particulièrement à la sérophobie. La sérophobie tue toujours, plus ou moins directement. Elle génère de l’isolement, des problèmes de santé mentale. Elle éloigne du soin et du système de santé. En tant qu’association de lutte contre le VIH, et aussi en tant que citoyens-nes concernés-es, nous avons le devoir d’agir sur la sérophobie. Au-delà des grandes campagnes de communication ou des manifestations collectives : c’est par nos actions de terrain quotidiennes, par les échanges que chacun-e d’entre nous peut avoir pour rectifier de fausses informations et réduire les préjugés, que nous réussirons à transformer la société, petit-à-petit, et que nous gagnerons le combat contre le VIH. — de se mettre à la place d’une personne séropositive.

    Cela ne signifie pas que notre pouvoir d’agir dans ces situations soit nul. Des militants-es à AIDES avaient ainsi créé un outil pour sensibiliser les agents-es des préfectures à la complexité du parcours des personnes séropositives, et particulièrement celles nées à l’étranger : c’était le « Parcours de VIH ». Quoi de plus efficace que de mettre les agents-es concernés-es par cette sensibilisation dans la peau d’une personne vivant avec le VIH et de leur faire vivre tous les obstacles à la santé que doivent surmonter les personnes concernées ? J’ai également eu l’occasion de tester un outil de réalité virtuelle absolument bluffant : le casque sur la tête, nous étions dans la peau d’un homme gay séropositif, au travers de cinq situations du quotidien (vie avec un colocataire alors qu’il faut prendre un traitement, accueil à l’hôpital, rendez-vous médical, rencontre amoureuse, etc.). Nous étions littéralement à sa place et voyions et entendions ce qu’il entendait ; nous ressentions son rythme cardiaque s’accélérer à cause du stress quand il devait annoncer sa séropositivité… Cette expérience a été incroyable. Ces outils sont des exemples d’actions que nous pouvons mener pour faire reculer les stéréotypes et la sérophobie.

    Parce qu’au final, nous devons faire reculer la sérophobie, nous n’avons pas le choix. Nous n’arriverons pas à la fin de l’épidémie sans mettre fin aux discriminations, et particulièrement à la sérophobie. La sérophobie tue toujours, plus ou moins directement. Elle génère de l’isolement, des problèmes de santé mentale. Elle éloigne du soin et du système de santé.

    En tant qu’association de lutte contre le VIH, et aussi en tant que citoyens-nes concernés-es, nous avons le devoir d’agir sur la sérophobie. Au-delà des grandes campagnes de communication ou des manifestations collectives : c’est par nos actions de terrain quotidiennes, par les échanges que chacun-e d’entre nous peut avoir pour rectifier de fausses informations et réduire les préjugés, que nous réussirons à transformer la société, petit-à-petit, et que nous gagnerons le combat contre le VIH.

    Portrait de Camille Spire : Nina Zaghian.