Le 123ème numéro de REMAIDES est en ligne !
- Remaides
BRAS DE FER !
L’épisode douloureux de la réforme des retraites nous montre, aujourd’hui, les limites des modalités traditionnelles de la protestation. Revendiquer, proposer, pétitionner, manifester (pacifiquement !) ne suffisent plus à se faire entendre, encore moins à obtenir gain de cause. Et même de faire appliquer la loi. La désobéissance civile a certes du panache, mais peut s’avérer inopérante, voire dangereuse. Que reste-t-il alors ? Le recours à la justice.
C’est à cette conclusion que sont arrivées trois importantes organisations : le Planning familial, SOS Homophobie et Sidaction. Toutes — impliquées dans la promotion de la santé sexuelle et reproductive, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, et contre les discriminations LGBTQIphobes — ont décidé d’assigner l’État en justice. Elles ont, le 2 mars dernier, saisi le tribunal administratif de Paris pour demander « l’application pleine et entière de la loi de 2001 relative à l’éducation à la sexualité des élèves, tout au long de leur scolarité ». Depuis 2001, rappellent les trois ONG, le Code de l’éducation (Article L312-16) prévoit que l’ensemble des élèves doit bénéficier d’une éducation à la sexualité, tout au long de leur scolarité, à raison d’au moins trois séances annuelles. Selon la durée de la scolarité, on devrait donc arriver à un nombre de 27 à 36 séances.
Cette éducation à la sexualité est cruciale puisqu’elle comprend la lutte contre les IST, dont le VIH/sida, la promotion de la santé sexuelle et reproductive, la lutte contre les violences de genre et celle contre les discriminations LGBTQIphobes. L’article de loi précise d’ailleurs : « Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu'aux mutilations sexuelles féminines ».
Il y a donc une base légale, des objectifs assignés et des modalités d’action. Il ne reste plus qu’à appliquer. Enfin ! C’est là que le bât blesse. En effet, seules 15 % des personnes âgées de 15 à 24 ans déclarent avoir bénéficié de plus de six séances d’éducation à la sexualité dans toute leur scolarité ; Pire, 17 % disent n’en avoir jamais reçues (Sondage Ifop, février 2023). Interrogés-es, les jeunes sont pourtant demandeurs-ses. Ainsi, 84 % trouvent que le nombre de cours d’éducation sexuelle à l’école n’est pas suffisant. Parmi celles et ceux qui en bénéficient : 79 % trouvent que l’éducation sexuelle à l’école complète l’éducation sexuelle apportée par les parents.
La situation n’est donc pas bonne. Elle devient inquiétante dès lors qu’il s’agit du VIH. Chaque année, en marge du Sidaction, l’association éponyme réalise un sondage avec l’Ifop. Il s’agit de jauger les connaissances des 15-24 ans sur le VIH et sa prévention. Régulièrement, l’association se désole, à raison, d’une baisse des connaissances et d’un rapport confus à la prévention. Cette année, légère embellie puisque 77 % des « jeunesses françaises s’estiment de mieux en mieux averties sur le VIH ». Reste que si elles s’estiment mieux informées sur le VIH, les résultats (Sondage Ifop, mars 2023) indiquent le maintien de difficultés de prise en compte du risque dans les relations sexuelles et aussi dans leur façon d’appréhender le virus. Bon, on se dit que tout cela est rattrapable puisque c’est dans les missions de l’Éducation nationale d’y pallier, à raison de trois séances annuelles ! C’est là que les résultats du sondage inquiètent de nouveau. En effet, le sondage note une « baisse continue depuis 2009 du suivi d’un enseignement relatif au VIH dans les structures éducatives ». Ainsi, 75 % des jeunes âgés-es de 15 à 24 ans déclarent avoir bénéficié d’un cours sur le VIH au cours de leur scolarité en 2023, contre 87 % en 2009, 85 % en 2018. Le chiffre était déjà de 76 % en 2022.
L’étude de l’Ifop s’est aussi intéressée au contenu des cours d’éducation « à la vie affective et sexuelle ». Les résultats font le constat d’un gouffre entre les sujets abordés et ceux qui devraient être traités : 64 % des jeunes âgés-es de 15 à 24 ans considèrent que les infections sexuellement transmissibles, dont le VIH, devraient être évoqués (alors que seulement 44 % se rappellent avoir bénéficié de cet enseignement dans un cours), et 61 % pensent que le principe du consentement dans les relations sexuelles devrait être mis en avant ; un sujet abordé en cours pour seulement 24 % des personnes sondées, soit un écart de plus de 30 points ! Évidemment, 75 % des jeunes auraient voulu être mieux informés-es et accompagnés-es dans le début de leur vie affective et sexuelle. L’institut de sondage y voit le « signe d’une demande forte d’information parmi les jeunesses françaises, et qu’une meilleure sensibilisation dans les structures scolaires constitue un potentiel levier d’action pour lutter contre le VIH ». Mais rien de cela ou presque ne se passe.
Dans le contexte que connaissent l’Éducation nationale et plus largement les « jeunesses françaises » (un terme pour poser que ce groupe d’âge n’est pas un tout homogène), on pourrait estimer qu’il y a plus prioritaire, plus grave que ce déficit en matière d’éducation sexuelle. On a tort. Les violences sexuelles ont augmenté de 33 % en 2021. Parmi les jeunes ayant un rapport sexuel l’année passée, 66 % n’ont pas systématiquement utilisé de préservatifs. Des jeunes aussi s’infectent au VIH. Les LGBTphobies ont augmenté de 28 % en France entre 2020 et 2022… on continue ? Non, disent aujourd’hui les trois ONG. Elles attendent du tribunal administratif qu’il reconnaisse la « responsabilité de l’État dans le défaut de mise en œuvre de la loi de 2001 » ; « l’obligation de l’État de mettre sans délai un terme » aux carences actuelles et même de réparer le « préjudice moral » des personnes qui en ont été victimes. Cette démarche est audacieuse et salutaire. Elle traduit la lassitude devant les promesses non tenues et la vacuité des « belles paroles » ministérielles. Elle souligne le paradoxe de pouvoirs publics — dont le mantra est le respect de la loi en toutes circonstances —incapables de tenir eux-mêmes la discipline sans faille qu’ils exigent des citoyens-nes. Ce premier bras de fer est important. D’autant qu’il existe d’autres domaines où le décalage entre la loi et les faits pose problème : l’accès à la prévention en détention, par exemple. Un autre sujet de bras de fer !
Jean-François Laforgerie,
Coordinateur de REMAIDES
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