L’Actu vue par Remaides : « Exclusion des migrants-es sans-papiers des essais cliniques : un frein pour la recherche et l'égalité en santé »
- Actualité
- 12.11.2024
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Par Fred Lebreton
Exclusion des personnes migrantes sans titres de séjour des essais cliniques : un frein pour la recherche et l'égalité en santé
Depuis 2022, les personnes sans titres de séjour valides en France n’ont plus accès aux essais cliniques de médicaments, malgré leur vulnérabilité face à certaines maladies, dont le VIH. Cette interdiction, qui crée un biais dans la recherche et limite l’accès aux innovations pour les plus précaires, inquiète les spécialistes. Dans un texte publié le 14 octobre, plusieurs associations dont le TRT-5 CHV, le Comité d’éthique de l’Inserm, la Conférence nationale des comités de protection des personnes, le Comede et Sidaction appellent à rétablir une inclusion encadrée, essentielle pour une recherche représentative et équitable en santé. Explications.
Depuis janvier 2022, les personnes en situation irrégulière en France sont interdites d’inclusion dans les essais cliniques de médicaments. Cette décision, résultant du règlement européen exclut les bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME), bien que ces derniers aient autrefois pu participer sous autorisation des comités de protection des personnes (CPP). En mars 2023, l’ANRS ǀ Maladies infectieuses émergentes (ANRS ǀ MIE) a alerté le collectif associatif TRT-5 CHV sur cette interdiction, initiant des concertations avec d’autres organismes, tels que l'Inserm et le Comede, pour en évaluer les impacts et les raisons.
L'interdiction limite la recherche, particulièrement pour les maladies infectieuses (VIH, hépatites virales, etc.), pathologies pour lesquelles les personnes migrantes sont surreprésentées parmi les nouveaux diagnostics (voir notre article sur les dernières données de Santé publique France). Les personnes qui bénéficient de l’AME sont, en effet, un public prioritaire pour les innovations thérapeutiques telles que la Prep injectable. Or, l'absence de cette population dans les essais, tels que ceux sur le lénacapavir à longue durée d’action, compromet la pertinence de certaines recherches.
Bien que la direction générale de la Santé relie l’interdiction aux réglementations en vigueur dans l’Union européenne, les organismes engagés dans la défense de la recherche n'ont trouvé aucune exigence européenne explicite imposant cette exclusion. L'ordonnance française apparaît donc comme une extrapolation des critères de sécurité et de consentement pour des groupes vulnérables, sans prise en compte des particularités des populations qui perçoivent l’AME ; des populations déjà fragiles et en dehors de la couverture sociale classique.
Pour les associations signataire de ce texte, cette restriction soulève plusieurs enjeux :
- celui des inégalités de participation : exclure ces personnes de la recherche remet en question le principe d'égalité en santé et restreint leur accès potentiel aux innovations ;
- celui de la compétitivité de la recherche française : la France pourrait perdre son attrait pour certains essais cliniques, avec des modifications coûteuses du design de projets comme l’essai Purpose 5 (sur le lénacapavir en Prep injectable tous les six mois) ;
- celui de la représentativité et des biais scientifiques : la recherche sur les maladies infectieuses pourrait être biaisée sans la participation de personnes exposées, telles que les personnes migrantes sans statut administratif régulier.
En réponse, l’ANRS ǀ MIE et ses partenaires suggèrent une révision de la législation française pour rétablir les dérogations par autorisation des comités de protection des personnes, telles qu’établies dans la loi Jardé. Ces ajustements favoriseraient une recherche plus inclusive, et le rapport de l’Académie de médecine appuie également la simplification de la réglementation, permettant à la France de rester attractive pour les essais cliniques. Avec ce texte qui a des allures de tribune, les acteurs-rices de la santé et de la recherche plaident pour une réintroduction de la possibilité d’inclusion des personnes en situation irrégulière dans les essais cliniques, rappelant que la participation à la recherche est un droit universel et essentiel pour le progrès scientifique et la justice sociale.
La loi Jardé de 2012
Elle est très clairement expliquée sur le site de l’Inserm. La recherche clinique correspond aux études scientifiques réalisées sur la personne humaine, en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales. Il s’agit de recherches prospectives, qui impliquent le suivi de patients ou de volontaires sains. Ces recherches sont indispensables pour mieux comprendre les maladies, mieux les traiter, et pour identifier les facteurs de risque potentiels. En France, ces recherches sont encadrées par la loi Jardé. Cette loi classifie les recherches dites interventionnelles et non interventionnelles impliquant la personne humaine (RIPH) en fonction de leurs niveaux de risque et du degré d'intervention pour les participants-es. Autrement dit, elle a réorganisé les catégories de recherche.